Le garage à l’oranger
Il existait dans ce monde urbainement décadent un garage bien morne et solitaire, sordide selon les jeunes de son quartier. Aucune voiture ni même ne serait-ce qu’une simple bicyclette n’osaient s’y approcher. Sa maison avait honte de lui, elle le cachait dans son recoin le plus sombre au moyen d’arbustes sinistres et de lierre grimpant.
Ce lierre semblait lui ronger la peau ou plutôt son mur ; tel un vieil outil devenu inutile avec l’ âge, il tentait tant bien que mal de vivre.
La haine de sa propre maison envers lui le rendait encore plus acerbe qu’il ne l’était déjà. On l’entendait souvent la nuit claquer sans cesses les battants de sa porte.
Sûrement lassé de résister, on commençait a ne plus l’entendre. Notre pauvre garage était passé de la haine et de la violence à une profonde tristesse. La mélancolie l’avait gagné. Il sombrait peu à peu en ruines, ses murs s’effritaient, ses carreaux se craquelaient . La maison se réjouissait de son agonie.
Le lierre malfaisant avait vu ce phénomène et il commençait à s’infiltrer doucement mais dangereusement au travers des craquelures des carreaux du morne garage.
Le matin, nous pouvions apercevoir une rosée abondante sur la façade du garage qui dégoulinait le long des feuilles avides du lierre. Mais beaucoup savaient que ce n’était pas la rosée mais bel et bien la tristesse et le mal dont souffrait notre garage qui formaient ce phénomène.
C’est à ce moment là que survînt le vent, il vît le malheur du garage, les arbustes plantés devant l’avaient empêché jusque là d’y observer cette tragédie, la rosée trop intense sur le lierre avait animé sa curiosité.
Il apporta, au moyen de son souffle, des graines d’oranger du jardin complice au creux des fissures béantes des carreaux du garage.
Le lierre se rendit compte du stratagème du vent et captura un grand nombre de ces pauvres graines courageuses. Le lierre immonde et fier pensait, du haut de sa splendeur carnassière, les avoir toutes englouties ; mais une petite graine échappa à ses griffes et vînt se terrer au creux même du pauvre garage.
Plusieurs semaines passèrent et le garage allait de mal en pis ; le lierre le rongeant à l’intérieur même de son corps déjà meurtri.
En désespoir de cause, il abaissa ses carreaux oculaires pour ne jamais les rouvrir. Ce faisant, il vit une minuscule et fine tige qui avait poussé en son sein et qu’il n’avait jusque là soupçonné son existence. Sa joie fut telle que l’on entendit gronder de plaisir ses vieux battants rouillés.
Le vent, ami de toutes les choses heureuses, aida de nouveau notre garage et son nouvel ami. Il asséna de violentes bourrasques sur le lierre qui défit son ses tentaculaires ramifications du corps du garage. La lumière put ainsi reprendre court dans la garage trop souvent resté dans sa noirceur.
Les jours passèrent, suivirent les semaines et notre frêle tige de naguère fit place à un fier petit oranger, à l’aide du soleil et des larmes coulées par le vaillant garage, mais celles-ci étaient chaleureuses et dues à la joie devant l’épanouissement de son petit ami feuillu à l’allure si fragile.
Enfin, à la belle époque, notre oranger produisit ses premières oranges. Le vieux garage leur raconta des histoires et des contes sur des huttes des temps anciens car les petits fruits étaient avides du savoir du vieil habitant de ces lieux. Ils devinrent vite inséparables, enfin des personnes l’écoutaient, le respectaient et ne le jugeaient pas de par son apparence certes austère.
Puis les oranges tombèrent du petit oranger et le garage s’inquiéta. Son ami le rassura en lui expliquant qu’il s’agissait là du cycle de leur vie, qu’il ne fallait en aucun cas être triste car bientôt de multiples petits orangers naîtraient. Alors le garage éclata à battants déployés de bonheur car il serait bientôt empli de nouveaux amis. Alors le vent lui murmura quelques paroles dont il fut le seul à connaître. Même moi, je ne sais ce qui fut dit.
En tous les cas, le garage souleva ses vieux battants et envoya les petites graines au vent qui es sema aux quatre coins du monde pour que chaque garage possède sa petite graine d’oranger en son sein.
Notre vieil ami était triste de leur départ mais il me raconta ceci prés de mes branches : « Le bonheur ne vaut d’être vécu que s’il est partagé, de plus mon ami, ta seule présence suffit à me combler de joie « .
Depuis ce jour béni où j’ai posé ma première racine ; j’ai su que ce serait l’endroit où je voulais finir ma vie, en compagnie de ce vieux bougon qui t’observe paisiblement de ses carreaux fatigués.
La petite orange s’endormit au creux de mes feuilles. Une larme s’écoula de mon ami la garage et de moi-même. Nous savions tous deux que ce serait la dernière orange que nous verrions semer le bonheur quelque part.
Nous nous endormîmes à notre tour, moi le serrant fort de mes branches, et mon généreux ami faisant de même de ses tendres volets. Ce serait notre dernière nuit ensembles. Une autre route s’offrait à nos vieux corps fatigués……..qui sait ?.
« Je t’aime » lui murmurais je et mes yeux se fermèrent.